Dominique JOIN
Témoignage en plusieurs épisodes de Dominique JOIN,
du 3ème Régiment d'Infanterie de Marine
Episode 1 : NOUS LES FRERES D'ARMES!
Le 2 février 1977, je débarque à Vannes, âgé de 17 ans. J'ai décidé de l'engager pour 5 ans dans les troupes de Marine car ma situation familiale ne me permettait pas de continuer mes études.
Ce jour-là, à vrai dire, je ne savais pas ce qui m'attendait, pas plus que mes camarades d'ailleurs : 89 jeunes hommes comme moi!
Nous avons connu la période dite "des classes". Commence alors ce que l'on ne croyait pas connaître ni admettre : la sélection commence, car tous ne pourront pas accepter les contraintes liées au mode de fonctionnement d'une unité combattante professionnelle, des situations qui peuvent paraître humiliantes pour un simple citoyen. Mais il y a des règles à suivre pour atteindre un véritable esprit de cohésion.
Si nous étions 89 au départ, seuls 45 hommes ont été retenus. Je tiens à préciser que parmi ceux qui ont accepté la mission (vous le verrez plus tard), aucun homme ne l'a regretté! Cela leur a donné une expérience de départ de leur existence.
Le prochain épisode sera consacré à l'Adjudant Roger d'Estaing, notre chef de section, qui a su nous accueillir au mieux, mieux qu'un père!
Episode 2 : IL ETAIT UNE FOIS DANS L'OUEST...
Il était une une fois dans l'Ouest, entre mer et terre, un département, le Morbihan. Une ville, Vannes, avec un régiment - le 3è de Marine -, le quartier Foch situé avenue de Verdun.
A 11km se trouve le camp de Meucon, la "fabrique des Aiglons" : une infrastructure en dur, un stand de tir couvert, un champ de tir à l'air libre, des bois, des champs, un grand terrain de manoeuvre.
Nous étions 4 sous-officiers.
Je n'avais que 26 ans; j'étais né sous d'autres contrées (à Hué en Indochine). J'étais Adjudant.
Je me demande encore aujourd'hui comment j'ai fait pour accepter une telle mission; en fait ces hommes n'avaient que 10 ans de moins que moi. Combien de nuits d'interrogations pendant le mois de préparation; les 4 que nous étions avons réfléchi comment les accueillir, réussir et ne pas faillir à notre mission.
Lorsqu'ils sont arrivés, il a fallu les connaître un à un, bien que Français , mais d'origines culturelles très différentes. Comme il s'agissait de mineurs, nous étions en lien aussi avec leurs familles. Tous les soirs nous reprenions la photo de chacun de ces jeunes hommes et nous réfléchissions à leur affectation possible. Comment décider qu'un tel sera grenadier-voltigeur, tireur fusil-mitrailleur, tireur lance-roquettes, tireur d'élite, chauffeur, radio... et leur apprendre l'esprit de groupe, l'efficacité dans leurs futures missions!
Un souci permanent car ils n'avaient que 17 ans et comme l'a si bien dit Arthur Rimbaud :"On n'est pas sérieux quand on a 17 ans".
Un jour, à l'extérieur du camp, au volant de mon véhicule de fonction, je vis un de mes hommes qui avait décidé d'aller au cinéma, seul, sans penser qu'il avait déserté sa section. Sans un mot, l'homme aux santiags (bottes à talons, à bouts pointus ou carrés) s'en rappelle 45 ans après, je l'ai invité à monter dans mon véhicule. Pendant 8 jours, il a fait le parcours du combattant en civil. Pas besoin de crier : jamais on n'abandonne un homme, quelle que soit son immaturité!
Sur les 70 engagés, il faut signaler que seuls 45 furent admis car on ne badine pas avec les valeurs et la discipline dans l'Armée française.
Certains de mes supérieurs m'accusèrent de paternalisme... Cependant, comme l'a si bien écrit Rudyard Kipling :"Tu seras un homme, mon fils. Pour enseigner juste, il faut aimer".
Cependant, j'ai dû les abandonner car dans l'Armée parfois un homme meurt au combat. Je fus appelé à remplacer l'Adjudant Allouche, mort au combat au Tchad à l'âge de 31 ans, dans le cadre de "l'opération Tacaud", MORT POUR LA FRANCE!
MAIS QUI EST DONC CET HOMME QUI VIENT DE S'EXPRIMER?
C'EST LE COMMANDANT/CHEF DE BATAILLON (Troupes de Marine = TDM) D'ESTAING Roger, Ange, Marie
Né le 15 septembre 1948 à Hué (Indochine)
PARCOURS
- Engagé le 10 octobre 1966 à Saint-Etienne
- Première affectation : Djibouti 1967/1968
- Issoire : formateur à l'Ecole Nationale Technique des Sous-Officiers d'Active (ENTSOA)
- Vannes : 3ème Régiment d'Infanterie de Marine (RIMA)
OPEX
- Opération TACAUD (TCHAD) 1978 (3ème RIMA)
20/10/1978 : Citation à l'Ordre de la Division
24/11/1978 et 15/12/1978 : Citation à l'Ordre du Corps d'Armée
- Opération DIODON II (LIBAN) de décembre 1982 à mai 1983 pour la Force de Sécurité Multinatioanle à Beyrouth (FMSB)
- COTE D'IVOIRE d'octobre 1995 à janvier 1996, détaché comme Chef de Patrouille au NIGER au sein du Groupe d'Observations Militaires Franco-Burkinabé
- GABON en 1997 - mission de courte durée (un an) comme Chef du B4 pour le 22ème Régiment d'Infanterie à Lyon, Quartier Général Frère
- Opération MALAKTE (GABON/CONGO Brazza et Libre) - 43ème Bataillon d'Infanterie de marine/8ème Régiment de Parachutistes d'Infanterie de Marine = 8ème RPIMA (Chef de Corps : Hervé CHARPENTIER).
Totalise 2 citations
DECORATIONS
- Médaille Militaire Cité (1980)
- Chevalier de l'Ordre National du Mérite (1986)
- Croix du Combattant
- Médaille d'Outre Mer
Agrafe "TCHAD" (1981)
Agrafe "Liban" (1983)
Episode 3 : LE FORT DE PENTHIEVRE
Le Fort de Penthièvre est le centre d'entraînement du 3è Régiment d'Infanterie de Marine.
Il est situé dans le golfe du Morbihan : construit en 1747, il a été édifié sur un promontoire rocheux et domine le seul accès à la presqu'île de Quiberon.
En 1933, il est confié à la Marine Nationale.
De nos jours, il est la base d'entraînement commandos du 3è RIMA.
Pour commencer, il faut signaler que le climat de la Bretagne n'est pas celui que vous pouvez connaître au mois de juillet! Pour nous, les stages commandos se situaient d'octobre à avril : il faisait froid, il pleuvait et nous étions trempés du matin au soir...
Les entraînements se faisaient du matin très tôt au soir très tard et même parfois la nuit.
Tous les déplacements s'effectuaient en petites foulées, avec des obstacles glissants. On se "promenait" sur des câbles, des poutres.
Dans les troupes de marine, il y a marine, manoeuvres, amphibies, zodiaque.
Nous suivions des formations de combat à mains nues, avec également l'apprentissage de la maîtrise des explosifs, les escalades et les tirs.
Maîtrise de soi, bon mental, endurance physique étaient nécessaires pour faire de nous des combattants prêts à s'adapter à tous les types de terrains, à toutes les situations.
Nous avons aussi été formés pour acquérir plus de cohésion entre nous : ON NE LAISSE JAMAIS PERSONNE DERRIERE NOUS!
Cet entraînement visait à évaluer les aptitudes physiques et psychologiques des combattants, qui devaient s'adapter au terrain et à la météo et ainsi pouvoir sortir de leur zone de confort.
Quelle que soit la zone de combat, cet aguerrissement est un
CHALLENGE QUI SE DEROULERA TOUT AU LONG DE LA CARRIERE DU COMBATTANT.
Episode 4 : OPERATION TACAUD - février 1978
A la suite d'une insurrection de brigands, armés par la Libye et la Russie, des milliers de rebelles s'étaient réfugiés vers N'JAMENA la capitale du Tchad.
Notre compagnie, la 2ème (dite "les Chameaux") du 3è RIMA (Régiment d'Infanterie de MArine) se détacha sur place avec un peloton du 2ème REC (Régiment Etranger de Cavalerie).
Notre mission était de sécuriser une bande qui s'étendait de MOUSSORO au LAC TCHAD.
Nous étions une centaine d'hommes. Nous devions nous faire voir pour rassurer la population qui était la proie de ces pillards et rebelles, sans foi ni loi.
Nous roulions dans ce désert aride en traversant des petits campements de nomades que nous devions fouiller pour récupérer des armements et des renseignements. Nous portions également assistance aux personnes blessées et malades.
rassurer les populations
fouiller les campements
A la tombée de la nuit, nous nous arrêtions dans des oueds pour monter notre campement individuel, installer un feu de camp pour chauffer les gamelles et le bon vieux café...
Nous préparions les tours de garde, avec roulement toutes les deux heures, avec entretien du feu et remise en condition de notre armement et de notre véhicule car le sable était partout.
L'autre problème, c'était l'eau. Nous avions droit à une réserve de 200 litres par véhicule. Nous partions pour des missions d'une semaine quand tout allait bien. L'eau était très précieuse!
Les nuits dans le désert étaient très froides; le contraste de la température entre le jour et la nuit était très éprouvant : rien n'a voir avec ce que nous connaissions en France.
Nous étions répartis dans 4 véhicules et avons vécu ainsi pendant 6 mois.
Les pertes humaines de cette opération furent de 7 soldats, MORTS POUR LA FRANCE!
Episode 5 : 16 MARS 1978 : NAUFRAGE DE L' AMOCO CADIZ
Qui se souvient de l'Amoco Cadix? La pire marée noire sur nos plages bretonnes!
Un autre combat pour les hommes de 3ème RIMA, un combat écologique pour sauver les côtes du Finistère
Cette nuit-là, la tempête gronde au large des côtes bretonnes. Le supertanker "l'Amoco Cadiz"
tombe en panne et refuse que la marine vienne à son secours pour ne pas payer la facture du remorquage...
Bilan : le navire se brise sur les rochers et 227 000 tonnes d'hydrocarbures s'échappent du navire.
Devant l'ampleur de la catastrophe, les autorités décident de réquisitionner le 3è RIMA, le régiment étant stationné à Vannes.
Ceci afin que nos chers touristes puissent profiter de nos plages et côtes sauvages car la saison touristique arrive!
Nous étions logés dans les centres de vacances, dans de petits villages touristiques.
Notre mission était de ramasser les hydrocarbures déversés par le supertanker et de nettoyer les rochers au karcher; nous manquions de matériel et n'avions pas d'équipement de protection.
Heureusement la solidarité des villageois est là, avec nous. Les pêcheurs, ne pouvant plus travailler, nous aident à ramasser et nettoyer les plages.
Les paysans, avec leurs remorques et tracteurs font les navettes entre la plage et la côte où se trouve le centre de stockage des déchets. Les restaurateurs nous fournissent nos repas, ainsi que les petits déjeuners. Les villageoises nettoient nos vêtements.
Le bilan... Les coquillages et les algues sont perdus; les oiseaux marins sont les plus gravement touchés : 37 000 oiseaux sont morts; 7 000 tonnes d'huîtres sont détruites; 360 km de littoral sont pollués.
L'armateur sera condamné à 35 millions d'euros.
Vous qui allez cette année sur nos plages bretonnes, si vous voyez encore des taches de mazout, nous - les gars du 3ème RIMA-
nous sommes désolés de ne pas avoir pu mieux faire! Vous n'étiez pas présents alors...
Bonnes vacances à tous!
Episode 6 : 14 JUILLET 1977
L'honneur de défiler à Paris sur le Champ de Mars et de représenter le 3è R.I.M.A., mon régiment : une fierté, comme celle des Anciens qui, le 14 juillet 191, ont défilé sur les Champs-Elysées pour célébrer la victoire de 1918.
Le défi pour nous, les soldats, est de défiler en harmonie, que les rangs soient propres, bien alignés et que nous soyons les plus beaux! Un mois de préparation a été nécessaire pour y parvenir, dans des tenues impeccables; en effet, nous devenions les ambassadeurs de notre Régiment et de nos Aînés, ceux qui ont laissé leur vie sur les champs de bataille.
C'est comme lorsqu'on porte le drapeau d'une association patriotique - l'UNC de Talant pour moi - : on ne porte pas que le drapeau, on porte aussi et surtout la mémoire de ces hommes et femmes qui sont tombés pour la France...
Le "Jour J" : lever à 5h, mise en place, vérification des tenues, passage en revue par le Lieutenant-Colonel Jean JOUBERT.
Puis, le grand moment... Le défilé qui commence à 9h...
On s'applique, on se concentre; on n'a pas le temps de voir la foule.
On passe devant le chef de l'Etat, le Président Valéry GISCARD D'ESTAING, ainsi que devant les autorités civiles et militaires.
L.C.L. Jean Joubert
Valéry Giscard d'Estaing
Le défilé terminé, retour à Vannes pour moi et mes frérots!
Bonnes vacances à vous toutes et tous et au plaisir de vous retrouver en septembre, pour suivre mes aventures!...
Episode 7 : le Gabon
Ma section du 3ème RIMA est détachée au 6ème BIMA (Bataillon d'Infanterie de Marine), stationné à Libreville au Gabon.
Notre but est de nous former et de nous adapter à la forêt équatoriale. Nos déplacements se font à pied, dans cette région qui regorge de pièges naturels. On marche au coupe coupe, cette grande machette qui nous permet de couper la végétation : lianes et épineux sur des semblants de pistes, forêt bruyante où les cris des singes et des oiseaux se font sans cesse entendre.
Sans oublier les reptiles qui grouillent, les mygales et autres petites bestioles, les fourmis, les fourous qui s'invitent dans nos couchages : le danger est là, partout!
Puis il y a les déplacements amphibies sur l'Ogooué, long fleuve où se côtoient hippopotames et autres animaux "sympathiques", le tout sur des pirogues : les chutes dans l'eau viennent plus vite que l'on ne croit!... On remonte vite dans les pirogues, car les 6 hippopotames présents ne sont pas encore nos copains...
Ce stage de 3 mois a permis au groupe de comprendre que, seul, on n'est rien...
Il faut partager les difficultés pour arriver tous ensemble au but final : la cohésion d'un groupe d'hommes entre le Cap Estérias ( au nord de Libreville) et Lambaréné, l'hôpital du Docteur Schweitzer. Nous les frérots.
Episode 8 : DJIBOUTI
Me voici débarqué à Djibouti; la 1ère compagnie est à ARTA, à la suite des différents conflits dans lesquels la France intervient. Je suis muté au 5è Régiment Interarmes d'Outre-Mer (5è RIAOM) avec 5 de mes camarades de la section.
Le but est de former des hommes au combat en zone désertique, afin de programmer la relève de mes camarades qui se trouvent en OPEX.
Cette formation bénéficiait de notre expérience acquise lors de l'opération Tacaud et Manta 1 au Tchad.
Nous sommes basés dans la montagne; la température dépasse souvent les 50 degrés et les tremblements de terre réguliers, mais de faible intensité.
Nous sommes avec une section du 2è Régiment Etranger d'Infanterie (2è REI), dans lequel beaucoup nous connaissent car nous étions ensemble à MOUSSORO au Tchad (cf. épisode 4).
En plus, cette fois-ci, il y avait les Commandos Marines
Cette formation va durer un an pour moi.
La montagne, les lacs salés, les entraînements à tirs réels, voilà le quotidien de nos journées; notre but étant d'aguerrir ces hommes au combat dans le désert, afin de pouvoir les incorporer dans les forces spéciales. Les conditions physiques constituaient la base de notre entraînement.
Pour moi, le retour en France était une mission en préparation.
J'éprouvais beaucoup de fierté, avec mes camarades, d'avoir formé ces hommes aux combats en zones désertiques.
Episode 9 : RETOUR EN METROPOLE
En ce mois de novembre, j'ai une pensée particulière pour mes camarades tombés en Opex, loin de chez eux, en accomplissant leur devoir de soldats. Ils ont défendu la fierté de nos trois couleurs et nous ne devons pas les oublier. ils continuent à vivre à travers nous, les vétérans.
Je quitte mes camarades pour naviguer en solo : je suis muté au 2ème Régiment d'Infanterie de Marine au Mans (2ème RIMa), promu à la garde du drapeau du Régiment.
Affecté à la 11ème compagnie comme instructeur, ma mission est de former ces jeunes hommes à la vie militaire : discipline, motivation, cohésion du groupe, endurance physique et mentale, noter les points forts et les points faibles de chacun d'entre eux, leur attribuer une fonction au sein de la section.
Il s'agit de les préparer aux événements qui vont suivre avec les différentes Opex : Tacaud, Manta, Oryx, Turquoise, Licorne et bien d'autres encore à venir... Tous ces hommes doivent être préparés à affronter l'inconnu.
Je sais que pour eux cette formation a été dure; certains m'ont maudit pendant leurs classes. Mais après leurs premières Opex, ils étaient tout fiers d'avoir reçu cette formation. Ils avaient compris là où je voulais qu'ils aillent pour affronter la dure réalité du terrain.
Quant à moi, un autre chemin m'attend : une nouvelle mutation!
Episode 10 : dernière affectation
Me voilà muté à la section technique de l'armée de terre (STAT) à Versailles Satory.
Je suis affecté auprès du Gouverneur Militaire du Fort du Haut Buc (au sud de Versailles, fort abandonné aujourd'hui), comme responsable de la sécurité.
Sous mes ordres, cette-ci, j'ai 9 vigiles armés tous civils, sous contrat avec Thompson Electrique et la Société d'applications générales d'électricité et de mécanique (SAGEM); j'ai également 3 maîtres-chiens de combat.
Ce site était classé "secret défense"; très peu de personnes pouvaient y accéder sans habilitation Haute Sécurité. les recherches effectuées portaient sur les communications futures et les lasers en laboratoire. Rien ne devait en sortir. Les chercheurs étaient répartis en 2 groupes de 15 personnes.
Deux années plus tard, cette mission s'est arrêtée pour moi; j'ai regagné la vie civile, finissant Caporal Chef 3è échelon, décoré de la Croix du Combattant des moins de 20 ans
de la Médaille d'Outre-Mer avec agrafe TCHAD
de la Médaille de la Défense avec agrafe Troupes de Marine
de la Médaille de Reconnaissance de la Nation
de la Croix du Djebel argent.
AU REVOIR!