Lettre du Général GIRAUD à ses enfants
Königstein, septembre 1940
Mes chers enfants,
Je ne sais combien de temps je resterai ici, des mois, des années peut-être. Il est possible que je sois enterré à côté de mon ami Dame. Je suis prêt à tout : peu importe.
Je vous confie le soin de me remplacer dans une tâche sacrée, le relèvement de la France.
Je vous interdis de vous résigner à la défaite, et d'admettre que la France puisse passer après l'Italie, l'Espagne ou la Finlande. Peu importe les moyens. Le but seul est essentiel. Tout doit lui être subordonné. Vous lui sacrifierez vos intérêts personnels, vos goûts, vos théories, votre mystique.
Au début, il ne s'agit pas de heurter de front un ennemi qui s'est assuré la possession de notre sol et nous a totalement désarmés. Stresemann a défini la méthode à employer : nous n'avons qu'à copier intelligemment.
En première urgence, la libération du territoire à l'intérieur des frontières qui nous sont laissées. Ensuite la reconstruction physique, morale et sociale.
a) Avoir des enfants. Aider ceux qui en ont ;
b) Les élever comme ils doivent l’être, pour la France ;
c) Assurer à chaque famille une place au soleil.
En troisième lieu, être prêt à tout moment à profiter des occasions qui nous seront offertes, si l’on a confiance en nous. Par conséquent, pouvoir refaire une armée moderne.
Ceci suppose un programme à exécuter, par qui de droit :
– les esprits sont faits en France ;
– l'instruction est faite aux colonies ;
– le matériel est fait à l'étranger.
Malgré tous les contrôles, un pareil programme est possible, le camouflage étant de règle. Rien ne ressemble au « service en campagne » comme l'instruction des scouts.
Rien ne ressemble à un avion militaire comme un avion de transport. Un tracteur à chenilles n'a besoin que de sa cuirasse pour devenir un char, etc., etc.
Mais, avant tout, que les esprits soient à la hauteur de leur tâche. Qu'ils veuillent être Français totalement. Que personne ne s'expatrie des pays occupés ou temporairement détachés : il s'agit d'y maintenir la pensée française. Mais que personne n'hésite à s'expatrier si on lui offre à l'étranger une situation où il peut être utile à la France.
Vous tous, Pierre, Henri, André, Bernard, et vous, mes chères filles, rappelez-vous qu’une bourrasque passe, mais que la patrie reste.
Une Nation vit quand elle veut vivre. Répétez cela autour de vous. Forcez les autres à penser comme vous, à travailler comme vous. Nous sommes sûrs du succès, si nous savons vouloir.
Résolution. Patience. Décision.
Général H. Giraud
Forteresse de Königstein